L'entrepreneuriat en vogue
- mgangath
- 2 juil.
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Dernière mise à jour : 5 juil.
L’entrepreneuriat va sauver l’Afrique ! Vous avez, très certainement, déjà entendu cette phrase : c’est le nouveau mantra ! Enfin, pas si nouveau… Cela fait maintenant quelques années que le mot « entrepreneuriat » est dans toutes les bouches. Que ce soit, lors des nombreuses conférences et formations sur le sujet, ou sur les terrasses des cafés branchés : « lancer son business » semble être le Graal.

Longtemps réservée au secteur public, les entreprises ont, depuis l’adoption en 2000 des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), pris une place prépondérante dans l’articulation des politiques de développement à destination des « pays du Sud ». La baisse progressive de l’aide publique au développement — et l’actualité américaine de ces derniers mois illustre cette tendance — favorise l’implication des entreprises privées dans la mise en œuvre des projets de développement. Les OMD et leur bilan mitigé[1] ont laissé place aux Objectifs du développement durable (ODD) en 2015 ; avec la création d’une alliance d’investisseurs mondiaux pour le développement durable (GISD[2]) dont l’objectif est de travailler en collaboration avec le secteur privé.
En quête d’efficacité, les institutions de la coopération internationale s’associent aux entreprises privées pour repenser l’architecture et la « culture » de la solidarité internationale, notamment en matière de financement. C’est dans ce contexte de désenchantement quant aux résultats de l’aide au développement classique que l’entrepreneuriat s’est imposé comme un moteur essentiel de croissance économique et de développement social pour transformer le continent. Les membres de la diaspora en mal du pays et en crise avec le modèle salarial se tournent alors vers l’entrepreneuriat pour « investir au pays » et « se faire de l’argent ». Les sites internet et autres chaînes YouTube, proposant des formations ou du coaching, se sont multipliés à vitesse grand V. Une question s’impose alors : sommes-nous dans la bonne direction ? L’entrepreneuriat peut-il « sauver l’Afrique » ?
Dans une relation coloniale, l’enseignement reçu est colonial. La notion même de « développement » fait débat puisque son émergence répond à un besoin des pays dits « développés » de se positionner vis-à-vis des pays du « tiers monde ». Les problèmes de développement socioéconomiques sont complexes et systémiques. Une compréhension approfondie des enjeux est indispensable pour orienter et stimuler le changement. L’enjeu central dans la course vers l’entrepreneuriat sur le continent, à la fois individuel et collectif, est de se mettre d’accord sur un idéal civilisationnel pour penser « la liberté de vivre la vie que l’on a raison de valoriser [3]». Le questionnement quant aux valeurs sur lesquelles devrait reposer cet idéal, reste cruellement absent du discours des influenceuses et influenceurs autoproclamés experts du sujet.
L’histoire de l’Afrique ne débute ni avec l’esclavage ni avec la colonisation. Le déficit de confiance, tant entre les membres de la diaspora que sur le continent, dans l’ensemble des activités liées à la création, la gestion et le développement d’une entreprise résulte d’une longue période de violences physiques et psychologiques. La définition des valeurs qu’incarne l’entrepreneuriat en Afrique passera par une recherche approfondie des sources d’inspirations au sein de nos communautés dont la mémoire n’a pas totalement été effacée. Ces dernières disposent des ressources et des connaissances nécessaires pour résoudre les problèmes et influer positivement sur l’état d’esprit des personnes qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat. Ces valeurs, synonymes de conception de la vie que l’on privilégie et donc d’une forme de philosophie pratique, guideront le continent vers un modèle de « développement » propre : sans « mimétismes anesthésiants[4] », sans « mimétismes nauséabonds[5] ». L’Afrique ne mérite-t-elle pas mieux qu’un copié-collé de l’occident ?
Melvine Gangath
[1] L’ONU, par la voix de son secrétaire général Ban Ki-moon, reconnait que les avancées sont insuffisantes. Pour Ban Ki-moon, les explications à cette situation sont le « manque d’engagement et de ressources, le déficit de responsabilité des dirigeants, l’insuffisance de soutien technique et de partenariats ». https://news.un.org/fr/story/2010/03/179862
[2] The Global Investors for Sustainable Development (GISD): https://www.gisdalliance.org/about
[3] Définition de la notion de développement par Amartya Sen
[4] Felwine Sarr « Afrotopia » Philippe Rey
[5] Frantz Fanon « Les damnés de la terre » Folio actuel, p. 371




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